''J'ai fermé les yeux, ne serais-ce qu'un tier de seconde, et j'ai tâché d'oublier, d'oublier le présent dans le passé. Tandis que je rêve, les souvenirs de mon enfance et de ma jeunesse me reviennent un à un, doux, calmes, riants, commes des îles de fleurs sur ce gouffre de pensées noires et confuses qui tourbillonnent dans mon cerveau.

Je me revois enfant, écolier rieur et frais, jouant, courant, criant avec mes amis dans la grande allée verte de ce jardin sauvage ou ont coulé mes premières années.

Et puis, quatre ans plus tard, m'y voilà encore, toujours enfant, mais déjà rêveur et passionné. Il y a une jeune fille dans le solitaire jardin. Avec ses grands yeux bruns et ses grands cheveux, sa peau brune et dorée par le soleil, ses lèvres rouges et ses joues roses.

On nous a dit de jouer, et nous causons, enfants du même âge, non du même sexe. Pourtant, il n'y a encore qu'un an, nous courions, nous luttions ensemble. Je disputait à Kellia la plus belle pomme du pommier; je la frappais pour un nid d'oiseau. Elle pleurait; je disais : C'est bien fait!

Maintenant elle s'appuie sur mon bras, et je suis tout fier et ému. Nous marchons lentement, nous parlons bas. Elle laisse tomber son mouchoir, je le lui ramasse. Nos mains tremblent en se touchants. Elle me parle d'un petit oiseau qu'elle voit là-bas, d'une étoile, du couchant vermeil derrière les arbres, ou bien de ses amies, de sa robe et de ses rubans. Nous disons des choses innoncentes, et nous rougissons tous deux. La petite fille est devenue une jeune fille.

Ce soir là- c'était un soir d'été- nous étions sous les marroniers, au fond du jardin. Après un de ces longs silences qui remplissaient nos promenades, elle quitta tout à coup mon bras, et me dit : Courons!

Elle se mit à courir devant moi avec sa taille fine comme le corset d'une abeille et ses petits pieds qui relevaient sa robe à mi-jambe. Je la poursuivais, elle fuyait. J'étais hors de moi. Je l'atteingnis; je la pris par la ceinture, du droit de ma victoire, et je la fis assoeir sur un banc de gazon; elle ne résista pas. Elle était éssoufflée et riait. Moi, j'étais sérieux, et je regardais ses prunelles brunes à travers ses cils noirs. Je me rapprochai d'elle, elle appuya son épaule à mon épaule. Nos têtes se touchaient, nos cheveux s'entre-mêlaient, nos haleines peu à peu se rapprochèrent, et nos bouches tout à coup.

C'est une soirée que je me rappellerai toute ma vie.
Toute ma vie!''

Je crois que c'était mon premier baiser, elle ne s'en souvient probablement plus aujourd'hui, mais moi je l'avais jusqu'à ce jour garder en mémoire. C'était ce qu'on pouvait apeller un moment marquant dans mon enfance. Je ne me souviens plus exactement ce qui nous a séparé, la raison qui a fait de cette amitié une rupture dans le temps. J'étais probablement trop petit pour me rendre compte de ce qu'il se passait, mais maintenant je voyais plus clair, plus maturément, c'était ma première petite-amie. Certes, si innoncente sois nos existances, ce n'était rien de très romantique ou de très passionné, mais c'était un petit fourmillement dans mon estomac, chaque fois qu'elle avait la grâce de me sourire. Ses traits avaient maturés avec elle, je la reconnaissait par ses yeux et son sourire ravageure, mais le reste n'était que découverte. Elle était très belle, une femme désirable. J'hésita à la toucher, une poignée de main serait de mise... non plutôt une embrassade, mais je restai planté là sans un mouvement, par peur de lui faire peur ou par peur de l'envahir. Soulagé, je lui souris en entendant mon prénom s'échapper de ses lèvres, au moins elle me reconnaissait, bien qu'elle m'avait semblé hésitante un moment. Nous avions aujourd'hui tous les deux vingts ans, dix ans nous séparaient dans nos histoire mutuelle, le temps était à ratrapper. Elle me demanda comme j'allais, lui mentais, ou étais-ce simplement que j'en avais oublié ma peine je lui répondit;

-Très, très bien, merci. Eh toi? Tu étudis à l'université de Niagara?

En jettant un coup d'oeil autour, je remarquai qu'elle était déjà assise à une table ou repossait son verre et son croissant, je lui demandai alors;

-Tu permets que je m'assois? À moins que tu n'attendes quelqu'un?

Eh oui! C'était ma façon ô très subtil de lui demander si elle avait un petit-ami. Étrangement, je serais presque déçu si elle en avait d'office un.